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Philip R. Lane
Member of the ECB's Executive Board
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Entretien avec Le Monde

Entretien accordé par Philip R. Lane, membre du directoire de la BCE, à Eric Albert le 18 avril 2023

25 avril 2023

A l’automne, une récession en zone euro semblait inévitable pour le début de cette année. Finalement, a-t-elle été évitée ?

Oui, les indicateurs montrent que l’économie européenne a progressé au cours des premiers mois de l’année. Les principaux changements pour l’économie européenne ont été la baisse des prix de l’énergie, notamment du gaz, et l’atténuation des goulets d’étranglement. Cela a entraîné une amélioration visible de la confiance des consommateurs et des entreprises.

En mars, la BCE a annoncé une prévision de croissance de la zone euro de 1% cette année. Est-ce toujours la tendance actuelle ?

Cette projection reste raisonnable. Mais permettez-moi d’insister sur les très fortes incertitudes qui demeurent : de nombreuses questions se posent sur l’état de l’économie mondiale, sur la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine, sur l’impact du resserrement monétaire… Il est important de se rappeler l’ampleur des défis auxquels l’Europe et l’économie mondiale sont confrontées. Après une période assez longue de baisse des prix du gaz, il se peut que la météo change, que la guerre s’aggrave encore ou que la politique de l’OPEP continue de fluctuer... Tout cela pourrait faire augmenter les prix de l’énergie. Par ailleurs, les banques centrales du monde entier ont augmenté les taux d’intérêt, ce qui était nécessaire, mais il y a beaucoup d’incertitude sur l’impact de cette politique, sur la question de savoir si elle permettra un atterrissage en douceur de l’économie mondiale ou s’il y a un risque que cela se traduise par une baisse de la performance économique.

Bref, c’est un peu mieux que prévu mais l’économie demeure presque stagnante…

Pas stagnante mais, par rapport à ce que nous attendions avant la pandémie et avant la guerre de la Russie contre l’Ukraine, l’économie européenne est actuellement sur une trajectoire beaucoup plus modeste.

Parmi les éléments positifs, le chômage en zone euro demeure faible, à 6,6%. Est-ce aussi en partie l’explication de la résistance de l’économie européenne ?

C’est une bonne nouvelle. Le pire scénario pour de nombreuses personnes est de perdre son emploi. Un marché du travail solide est donc un facteur de confiance important pour la consommation. Il faut noter que la vigueur du marché du travail vient d’un retour en force de l’immigration dans la zone euro. On craignait une diminution de l’immigration après la pandémie, mais il semble qu’elle soit de retour. Cela fournit une main-d’œuvre à toutes les industries qui sont confrontées à des pénuries de personnel. De plus, le taux de participation des travailleurs âgés est bien meilleur. Le développement du télétravail a aussi permis à de nombreuses personnes de rejoindre la population active. Tout cela permet à l’offre de main-d’œuvre d’augmenter et c’est la raison pour laquelle on peut avoir un marché du travail fort sans nécessairement une surchauffe de la pression salariale.

Sur les salaires, vous ne voyez donc pas de début de spirale prix-salaires, qui était l’une des grandes inquiétudes des banques centrales ?

L’année dernière, les salaires ont été relativement lents à évoluer. De nombreuses entreprises ont pu augmenter leurs bénéfices. Cette année, les salaires augmentent bien au-delà du niveau habituel, à environ 5 %, mais nous prévoyons un ralentissement en cours d’année.

Ce qui reste négatif, en termes réels, pour la plupart des ménages…

Sous l’effet du choc énergétique, les importations de produits énergétiques de la zone euro sont nettement plus chères. Cela a provoqué une perte collective à laquelle on ne peut pas échapper. Nous devons accepter qu’il ne peut y avoir de protection totale contre les hausses de prix dues au renchérissement de l’énergie. Malheureusement, les niveaux de vie doivent s’y adapter.

L’inflation est en baisse sensible, d’un pic de 10,6% en octobre en zone euro à 6,9% en mars. Est-elle sous contrôle ?

Cette forte baisse est la bienvenue, car elle réduit la pression sur le coût de la vie. Elle devrait continuer à baisser en raison de l’élimination des goulets d’étranglement dans les chaînes de production, suite à la normalisation de l’économie après la pandémie, et en raison du renversement de la situation énergétique. Reste que pour les banques centrales, ce n’est pas tant la baisse de l’inflation de 10,6 % à 6,9 % qui importe le plus. Il s’agit avant tout de s’assurer que nous nous rapprochons de 2 %, notre objectif, dans un délai raisonnable.

Pourquoi « dans un délai raisonnable » ?

Depuis le milieu de l’année 2021, l’inflation est supérieure à notre objectif. Cela fait donc presque deux ans que l’inflation est trop élevée. Or, plus l’inflation reste élevée longtemps, plus il y a un risque que la perception des gens change, qu’ils ne croient plus en notre capacité à revenir à notre objectif de 2 %. Ce n’est pas le cas pour l’instant, mais c’est pour cela que nous voulons revenir à 2 % au plus tôt.

Vous avez déjà augmenté les taux d’intérêt de 3,5 points (le taux de dépôt de la BCE est passé de -0,5 % à 3 %), ce qui est sans précédent depuis la création de la zone euro. Quelle a été l’efficacité de cette mesure jusqu’à présent ?

Les marchés et les banques commencent à imposer des taux d’intérêt beaucoup plus élevés. En conséquence, pour les ménages, nous constatons une forte baisse de la demande de prêts immobiliers. Pour les entreprises, nous voyons une baisse significative des investissements. La hausse des taux d’intérêt a également aidé à une forte appréciation de l’euro. Tous ces impacts vont continuer à se diffuser dans l’économie progressivement, ce n’est pas fini.

Dans ce contexte, jusqu’à quel niveau devez-vous continuer à augmenter les taux d’intérêt ?

Pour la prochaine réunion du 4 mai, les données actuelles indiquent qu’il faudra augmenter de nouveau les taux d’intérêt. Ce n’est pas encore le moment d’arrêter. Au-delà, je n’ai pas de boule de cristal, nous dépendrons des données économiques. Mais l’analyse suggère qu’il ne serait pas approprié de garder notre taux de dépôt au niveau actuel de 3 %.

L’inflation est très élevée depuis l’automne 2021. Ne craignez-vous pas que le phénomène soit désormais ancré durablement (« stickiness ») ?

« Durablement ancré » signifierait que l’inflation resterait là où elle est. Or, ce n’est pas ce qui se passe. Derrière les chiffres actuels de l’inflation se cachent plusieurs phénomènes successifs. D’abord, il y a eu la pandémie qui a créé de nombreux goulets d’étranglement, puis il y a eu le choc énergétique de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine. Aujourd’hui, ce sont les prix des denrées alimentaires qui sont très élevés. Mais inversement, les prix de l’énergie baissent plus rapidement que prévu. Dans certains secteurs, les pressions inflationnistes continuent, tandis que dans d’autres, elles s’atténuent. Je ne crois pas que nous soyons dans la situation des années 1970 quand l’inflation a véritablement été durablement ancrée. En revanche, il y a un risque qu’elle le devienne. C’est pourquoi il est important que la BCE augmente ses taux d’intérêt pour s’assurer que l’inflation revienne au plus tôt à 2 %.

En mars, un début de crise bancaire a secoué les marchés. Comment voyez-vous la situation ?

Les problèmes bancaires en Amérique [faillite de SVB] et en Suisse [déroute de Crédit Suisse jusqu’à son acquisition par UBS] ont suscité une série de questions sur le système bancaire européen. Il y a eu un effet de contagion. Mais très vite, les investisseurs ont compris que le système bancaire de la zone euro est très différent, car il est étroitement surveillé, et que les problèmes observés aux États-Unis et en Suisse sont moins susceptibles de se manifester dans la zone euro. Il n’en reste pas moins, évidemment, que la forte augmentation des taux d’intérêt nécessite un ajustement important pour le système financier.

Christine Lagarde, la présidente de la BCE, a appelé à plusieurs reprises les gouvernements à réduire les aides aux entreprises et aux ménages pour les factures d’électricité et de gaz. Pourquoi ?

Il y a deux messages. D’une part, les gouvernements ont décidé leurs programmes de subventions au moment où les prix du gaz étaient très élevés. Face à leur baisse, nous préconisons logiquement que les gouvernements réduisent les subventions. D’autre part, si les politiques budgétaires pratiquent moins la relance, les pressions inflationnistes seront moindres au cours des prochaines années. Par conséquent, l’inflation reviendra à l’objectif de 2% plus rapidement, et cela évitera que les taux d’intérêt ne doivent augmenter plus que nécessaire.

Cela signifie-t-il que l’ère de l’argent gratuit est révolue ?

Distinguons deux phases. D’abord, il est vrai que les taux d’intérêt nominaux seront élevés au cours des prochaines années. Ensuite, même lorsque l’inflation reviendra à son objectif d’environ 2 %, les marchés financiers ne s’attendent pas à ce que les taux d’intérêt reviennent aux niveaux très bas que nous avons connus avant la pandémie, mais plutôt qu’ils se normalisent à environ 2 %. Cela signifie que la période que nous avons connue, longtemps avant la pandémie et pendant la pandémie elle-même, quand les taux d’intérêt étaient extrêmement bas, ne devrait pas revenir.

Mais n’oublions pas qu’à long terme, un taux d’intérêt d’environ 2 % n’est pas très élevé. Toutes les forces qui existaient avant la pandémie, - le vieillissement de la population, la faible croissance… - demeurent. Je n’exagérerais donc pas le revirement de la situation.

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