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Entretien avec Le Monde

Entretien accordé par Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE, à Eric Albert le 16 décembre et publié le 22 décembre

22 décembre 2021

Entre le rebond économique, très rapide, et la nouvelle vague pandémique, la situation économique est difficilement lisible. Comment la voyez-vous ?

L’incertitude est effectivement très élevée, comme elle l’a été pendant toute la durée de la pandémie. D’une manière générale, je pense que la reprise se poursuit. Mais, en raison de la nouvelle vague d’infections et du nouveau variant, nous observons des vents contraires à court terme. Nous prévoyons désormais une activité économique plus faible au quatrième trimestre et jusqu’au début de l’année prochaine. Mais nous envisageons un rebond plus fort par la suite. Il s’agit donc simplement d’un décalage dans le temps, phénomène souvent observé pendant la pandémie. Les ménages de la zone euro ont accumulé une épargne importante, qui soutient la reprise. Par conséquent, nous ne pensons pas que la reprise va dérailler, simplement qu’elle sera retardée.

L’inflation atteint 4,9% dans la zone euro, 6% en Allemagne, plus de 9% dans certains pays baltes. Êtes-vous inquiète ?

Ces chiffres élevés sont liés à la situation spécifique liée à la pandémie. Au moment de la réouverture de l’économie, il y a eu un fort rebond de la demande. L’offre n’a pas pu y répondre assez rapidement, en partie à cause des restrictions sanitaires. Cela a entraîné de nombreuses perturbations de la chaîne d’approvisionnement et une hausse des prix des produits de base, en particulier des prix de l’énergie. Ce phénomène a été amplifié par différents effets statistiques, parce que nous comparons les prix d’aujourd’hui à ceux d’il y a un an, au milieu de la pandémie, qui s’étaient effondrés. Cela fausse un peu le tableau.

Tous ces facteurs sont susceptibles de s’inverser ou du moins de s’atténuer au cours de l’année prochaine. Prenez les goulets d’étranglement : nous ne savons pas précisément à quelle vitesse, mais il est clair qu’avec le temps, ils seront résolus. De même, il est très peu probable que les prix de l’énergie continuent à augmenter à la même vitesse. Et, enfin, les effets de base vont disparaître. Nous savons que l’inflation va être élevée pendant un certain temps, mais aussi qu’elle va diminuer au cours de l’année prochaine. Ce que nous savons moins précisément, c’est à quel rythme et dans quelle mesure ce ralentissement se produira.

On entend cette explication sur une inflation temporaire depuis l’été dernier. Et pourtant, mois après mois, celle-ci surprend à la hausse…

La plupart des économistes n’avaient pas prévu l’ampleur de l’augmentation de l’inflation. C’est pour cela que nous nous appuyons encore plus qu’avant sur des enquêtes auprès des entreprises et des ménages, pour mieux comprendre le phénomène. Certaines entreprises nous disent que les goulets d’étranglement du côté de l’offre devraient durer jusqu’en 2023. Nous sommes conscients des incertitudes autour de nos projections d’inflation, avec un risque à la hausse.

Un autre facteur jouant un rôle central à cet égard est l’évolution des salaires. Les données actuelles indiquent une hausse modérée. Cependant, notre enquête auprès des entreprises nous a aussi appris qu’elles s’attendent à une accélération de l‘augmentation des salaires. Nous surveillons cela de très près.

Officiellement, après une inflation à 3,2% en 2022, vous projetez 1,8% en 2023. Est-ce encore crédible ?

Nos équipes en charge des projections utilisent les meilleurs modèles économiques disponibles. Mais tout le monde s’accorde à dire que l’incertitude est exceptionnellement élevée.

L’une des questions les plus délicates est de savoir si l’économie est en proie à des changements structurels fondamentaux, qui ne seraient pas encore reflétés dans les modèles. Allons-nous revenir à l’environnement désinflationniste en vigueur avant la pandémie ? Ou entrons-nous dans une nouvelle phase qui pourrait être caractérisée par des chocs inflationnistes plutôt que désinflationnistes ?

Et quelle est la réponse à cette question ?

Prenez l’exemple du changement climatique. Précédemment, lorsque les prix du pétrole montaient, les producteurs de pétrole de schiste augmentaient rapidement leur production, ce qui atténuait les tensions sur les prix. Cela ne se produit pas dans la même mesure actuellement. Cela s’explique probablement par le fait que la transition écologique incite moins à investir dans le secteur du pétrole de schiste. Si tel est le cas, nous allons peut-être enregistrer des tensions à la hausse plus fortes sur les prix du pétrole.

Et donc, sommes-nous en train d’entrer dans une « nouvelle normalité » ?

Nous ne savons pas encore. Nous devons adopter une approche de gestion des risques nous permettant de répondre sans délai en cas de signes pointant vers une inflation restant plus durablement à un niveau supérieur à notre objectif de 2%.

Malgré ces incertitudes, et le risque d’une inflation plus forte, la BCE a n’annoncé qu’un retrait très progressif de ses achats d’actifs, de 90 milliards d’euros par mois actuellement à 40 milliards à partir d’avril, puis 30 milliards au troisième trimestre 2022 et 20 milliards au quatrième trimestre. Est-il correct de dire qu’il s’agit d’une position très accommodante ?

Nous avons fait un pas important vers la normalisation de notre politique monétaire. Cela doit être un processus graduel et non arriver d’un seul coup. Si nous réagissions trop rapidement, nous risquerions d’asphyxier la reprise en resserrant les conditions de financement trop brusquement. Nous normalisons notre politique selon une approche étape par étape, à un rythme qui peut être ajusté en fonction des données disponibles. Nous devons conserver toutes les options ouvertes pour nous assurer d’atteindre durablement notre objectif de 2%.

Cela fait néanmoins six ans que la BCE pratique les achats d’actifs, le taux d’intérêt est de -0,5% et cela fait plusieurs fois qu’une normalisation de la politique monétaire est repoussée. Comment réussir à le faire cette fois-ci ?

La raison pour laquelle notre politique est accommodante depuis si longtemps est que l’inflation a été obstinément faible. Malgré toutes les mesures que nous avons prises, il a été très difficile de la ramener vers l’objectif de 2% à moyen terme. Au cours de l’année écoulée, toutefois, nous avons fait des progrès substantiels et il semble que nous soyons sur la bonne voie pour atteindre notre objectif de manière plus durable. C’est une condition préalable à la normalisation de notre politique.

L’impression est au contraire qu’à chaque fois, la BCE est obligée d’en faire toujours plus. Et qu’à chaque fois, ces interventions sont moins efficaces, qu’il faut toujours plus de milliards pour agir…

Etant donné que les taux d’intérêt étaient déjà très bas, nous avons dû utiliser de nouveaux outils, qui se sont avérés très efficaces. Mais l’efficacité de certains instruments se réduit avec le temps. Nous avons déjà acheté beaucoup d’obligations, et le rapport entre les avantages et les inconvénients d’achats supplémentaires se détériore avec la repise économique. C’est la raison pour laquelle nous réduisons désormais les achats.

Compte tenu des incertitudes, ce mouvement doit cependant être graduel, en vue également d’assurer une transmission harmonieuse de notre politique monétaire à travers toute la zone euro.

Dans ces circonstances, peut-on imaginer un retour à une politique monétaire « normale », disons un taux d’intérêt à zéro, pendant votre mandat (qui se termine en 2028) ?

Je l’espère. Les évolutions observées au cours de l’année écoulée permettent d’être prudemment optimiste. Avant la pandémie, nous avons traversé une période de croissance relativement faible et d’inflation trop basse pendant plusieurs années. Cela étant, aujourd’hui, nous constatons que l’inflation progresse et que les anticipations d’inflation se rapprochent de notre objectif de 2 %. C’est précisément ce qui peut nous aider à sortir de l’environnement de faible croissance et faible inflation et à revenir à un monde plus normal.

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