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  • 8 April 2020

Entretien avec Le Parisien

Entretien accordé par Christine Lagarde, Présidente de la BCE, à Matthieu Pelloli, publié le 8 avril 2020

D’Emmanuel Macron multipliant les références à « guerre » à la reine Elisabeth II invoquant l'esprit du Blitz, les souvenirs des heures les plus sombres de l'Histoire ont resurgi. S’agit-il effectivement d’une guerre ?

Il y a probablement des éléments de comparaison. Ce qui est certain, c’est qu’il y a un ennemi invisible mettant à très rude épreuve nos extraordinaires soignants et notre système de santé. Cet ennemi met aussi en difficulté les économies mondiales. Nos modes de vie sont modifiés, et pour certains complètement bouleversés.

Vous étiez ministre de l’Economie, en 2008, lors de la précédente crise économique mondiale. En quoi la crise actuelle est-elle différente ?

La crise de 2008 avait une origine financière. La crise actuelle, est d’abord sanitaire. Si l’on réfléchit, elle trouve aussi ses origines dans des désordres écologiques et biologiques du monde. C’est un peu la revanche du vivant ! Les conséquences économiques sont difficiles à mesurer, mais elles seront très certainement graves. Aujourd’hui, il s’agit non pas de stimuler l’économie – ce qu’on a fait en 2008 – mais de la geler le temps nécessaire au confinement pour permettre un redémarrage rapide et opérationnel.

En 2008, le multilatéralisme avait joué un rôle prépondérant. Est-il encore envisageable avec des chefs d’Etat comme Boris Johnson, Donald Trump ou Jair Bolsonaro ?

Il faut espérer que la propagation de ce virus, sa brutalité et son aveuglement, feront prendre conscience à ceux qui considéraient que le multilatéralisme était une histoire des années 50 qu’il a bien des vertus. Nous en avons besoin maintenant pour gérer la riposte, et, demain, pour organiser la sortie de crise. Imaginez un instant que la Chine, l’Union européenne, les Etats-Unis se remettent en marche, mais que tout l’hémisphère sud, de l’Amérique latine jusqu’à l’Afrique, soient à son tour contaminé. Nous ne serions pas tellement plus avancés, avec le risque d’une deuxième vague.

Vous avez dit redouter à une récession « considérable » en zone euro. De quelle ampleur ?

En 2009, la croissance avait reculé de 4,5% en zone euro et de 2,9% en France. Aujourd’hui, d’après le consensus des économistes, chaque mois de confinement se traduira par une perte de croissance annuelle de 2% à 3% en 2020. Ceci impliquerait un recul du PIB de 3,5 % à 4%, dans le scenario d’un confinement de quelques semaines et de -9% à -10% dans un scénario de confinement plus long, qui durerait plusieurs mois. Mais attention, ce ne sont que des hypothèses !

La réponse des pays de l’Union européenne (UE) est-elle adaptée ?

Ils ont adopté rapidement des mesures d’envergure, en accroissant leurs dépenses budgétaires et en soutenant les salariés et leurs entreprises. Qu’il s’agisse du déficit ou du taux d’endettement, une flexibilité maximale leur a été accordée par l’UE. Nous sommes dans une période où nous devons utiliser tous nos outils sans hésitation. L’Allemagne, pourtant très attachée à son principe d’un budget à l’équilibre, l’a bien compris. Elle a renoncé temporairement à sa politique du zéro déficit.

Mais si les dettes s’envolent, certains Etats européens peuvent-ils faire faillite ? Existe-t-il un risque d’effet domino ?

Non. L’architecture de la zone euro a été renforcée justement pour adresser ce risque. De plus, la Banque centrale européenne (BCE) est là, elle dispose de toute sa boite à outils et elle fournira le bouclier nécessaire pour préserver la zone euro. Avant le mois de mars, on me disait : « La boite à outils est vide, vous n’avez plus rien, vous ne pourrez pas utiliser l’arme monétaire », et bien nous l’avons utilisée !

Le « bazooka » qu’a utilisé la BCE, c’est ce fonds de 750 milliards d’euros. Comment fonctionne-t-il ?

Le nouveau programme d’achats de titres nous permet d’agir face à un choc immense qui risquerait autrement de mettre en cause la stabilité des prix. Il s’agit d’une large enveloppe destinée à acheter notamment des titres d’Etats et du secteur privé, des obligations d’entreprises et des billets de Trésorerie.

Nous sommes un peu comme une tour de contrôle : là où il y a un risque de resserrement du crédit, nous intervenons. Tout mis bout à bout, nous disposons, d’un côté, d’une force de frappe supérieure à 1 000 milliards d’€ pour soutenir le crédit financier, et donc les entreprises et les emplois.

De l’autre côté, nous disposons de 3 000 milliards d’euros mobilisables. Aujourd’hui, si une banque prête à un auto-entrepreneur, une TPE, une PME ou un grand compte, elle peut nous apporter ses prêts en garantie, en nous disant : « Voilà, j’ai besoin de refinancement ». Et le financement est là, à des taux très favorables.

Donald Trump a fait adopter un plan de soutien à son économie de 2200 milliards de $. L’effort de l’UE est-il suffisant ?

Les 2200 milliards de dollars sont à comparer avec les efforts budgétaires consentis par les 19 pays de la zone euro, qui sont au moins aussi importants et qui s’élèvent, toutes promesses des Etats confondues, à environ 2350 milliards d’euros, soit 19% du PIB de la zone euro. Ceci comprend les mesures directes de soutien aux ménages et entreprises qui s’élèvent à 3% du PIB ainsi que les garanties de crédit apportés par les Etats qui s’élèvent à 16% du PIB de la zone euro A ceci, il faut ajouter l’effet des « stabilisateurs automatiques », qui comme tout le monde le sait, sont bien plus importants en Europe qu’aux Etats-Unis.

Mais qui, au bout du bout, va payer la note ?

Il n’y a pas de « free lunch » comme on dit, nous, les Européens devrons rembourser un jour... Mais au lieu de regarder la facture, pensons d’abord à pourquoi nous faisons ça aujourd’hui ? Pour soutenir le tissu économique, pour préserver les emplois, pour que les gens qui ont un travail puissent percevoir le chômage partiel... Si nous gérons la sortie de crise comme il faut, nous retrouverons une situation de croissance qui permettra, au fil de temps, d’amortir la nouvelle dette.

Avez-vous d’autres solutions à disposition, dans le cas d’un scénario du pire ?

Oui, mais je ne vais pas vous dire lesquelles, car l’impact sera aussi lié à l’effet de surprise, soyons clair. Ce que je peux vous garantir : c’est qu’il n’y aucune limite à notre engagement au service de la zone euro. La BCE saura faire évoluer ses outils et les utiliser de la manière la plus appropriée pour remplir sa mission.

La création de « coronabonds », via lesquels les Européens mutualiseraient la dette liée à la crise, est une pomme de discorde. Est-ce que cela vous inquiète ?

D’abord, une forme de mutualisation de la dette existe déjà aujourd’hui, via le mécanisme européen de stabilité, la Banque européenne d’investissement, ou les emprunts que peut contracter l’Union européenne. Ensuite, je ne crois pas qu’il faille faire une fixation sur les « coronabonds ». En Europe, les choses prennent un peu plus de temps que ce qu’on aimerait, mais nous finissons toujours par trouver une solution. Je ne suis pas surprise que le problème ne se règle pas en une nuit, lors d’un Eurogroupe [NDLR : la réunion des ministres des Finances de l’UE] et heureusement la BCE est là pour fournir le bouclier nécessaire à la maturation de ce type de projet.

Lorsqu’on parle de solidarité, je veux aussi qu’on regarde ce que font les Allemands vis-à-vis du Grand Est, en accueillant des malades français dans leurs hôpitaux. Une véritable entraide se déploie aussi, qu’il faut célébrer. Les « coronabonds » sont une expression de la solidarité européenne. Mais il y en a d’autres.

Par exemple ?

Je pense à la mutualisation de la dépense dans le cadre d’un budget européen spécifique à la sortie de crise. Ou encore à la mise en place d’un fonds de reconstruction ciblé sur une croissance plus verte et plus numérique. Ces outils pourraient permettre d’exprimer la solidarité nécessaire en faveur des pays de l’Union qui souffrent le plus aujourd’hui.

Cette crise remet-elle en cause la mondialisation ?

La remise en cause était antérieure à la crise, mais elle est rendue beaucoup plus aigüe et nous amène à repenser nos modes de vie. J’espère que le multilatéralisme n’en sortira pas affaibli mais renforcé. Je pense que nous irons vers des relocalisations et des chaînes d’approvisionnement réduites, ainsi que vers une réflexion sur la valeur et le juste prix.

Qu’entendez-vous par « juste prix » : dans le monde d’après, le coût de la vie sera plus élevé ?

Tous les produits ne coûteront pas plus cher. Mais notre souhait actuel de n’être plus dépendants pour nos approvisionnements, en matière de médicaments par exemple. Cela entraînerait forcément une hausse de prix. Relocaliser en France des chaînes de production qui bénéficient de coûts de production extrêmement faibles en Asie parce que la main-d’œuvre y est bon marché, cela aura un impact. Mais il faut choisir !

Ne faut-il pas revoir les règles de la concurrence pour accélérer l’émergence des géants européens capables d’assurer notre autonomie dans d’autres secteurs stratégiques ?

Bien sûr. Je crois en effet que les exceptions au principe des aides d’Etat actuellement mises en œuvre vont accélérer cette réflexion. Il s’agit d’un chantier sur lequel la Commission travaille déjà…

Vous avez été présidente du Fonds monétaire international. Doit-il utiliser ses droits de tirage spéciaux (DTS), sorte de monnaie créée par le FMI, pour soutenir des États ? Doit-il alléger les dettes des pays à bas revenus ?

La décision revient au FMI, mais les deux projets me paraissent tout à fait légitimes pour faire face à la situation des pays en développement.

La solidité des banques européennes en général, et des banques françaises en particulier, inquiètent nos compatriotes. De nombreux lecteurs se demandent si leur épargne est en sécurité. Est-ce le cas ?

Les banques européennes sont beaucoup plus solides qu’elles ne l’étaient en 2008. Leur ratio de capitaux propres a pratiquement doublé. Leur cadre réglementaire a été renforcé et leurs superviseurs sont bien plus vigilants et scrupuleux qu’ils ne l’étaient à l’époque. Le secteur bancaire est aussi solide qu’on peut le souhaiter. Les épargnants peuvent être rassurés.

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