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Entretien avec Le Figaro

Entretien de Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, accordé à Fabrice Nodé-Langlois, publié le 25 juin 2018

La France et l’Allemagne présentent au sommet de jeudi leur « feuille de route » commune pour réformer l’Europe. Au moment où beaucoup de citoyens remettent en question l’Europe, pourquoi faudrait-il la renforcer ?

Nous sommes dans un monde confus, dangereux, qui évolue très vite et pas toujours dans la bonne direction. L’Europe est à nouveau dans une zone de gros temps et a le devoir de protéger ses citoyens. Quand un navire est pris dans la tempête, il faut un équipage soudé et qui ne tire pas à hue et à dia. L’Europe ne pourra se doter d’une capacité de défense commune, ni mieux contrôler ses frontières, sans une économie forte. C’est pour cela qu’il est urgent de renforcer la zone euro. Nous ne pouvons nous offrir le luxe de dix ans de crises supplémentaires. Les débats existentiels sur la monnaie unique sont une perte de temps. Les enquêtes le montrent : les citoyens européens, dans leur très grande majorité, sont favorables à l’euro.

Emmanuel Macron et Angela Merkel proposent la création d’un budget de la zone euro. A quoi doit-il servir ?

L’accord de Meseberg est une contribution importante à la réforme de la zone euro. Le budget de la zone euro est une idée utile. Dans un premier temps, ce budget commun peut servir à accélérer la convergence entre les Etats membres. Au moment du traité de Maastricht, on a pensé un peu naïvement, notamment en France, que l’union monétaire allait en soi créer la convergence. Cela n’a pas été le cas. A terme, il pourrait aider un pays frappé par une récession à laquelle il ne pourrait faire face seul, même si ses finances publiques sont en ordre. Voyez l’Irlande, frappée en 2008 par une grave crise financière puis une récession, malgré un budget en règle. Elle n’a pas pu s’en sortir seule. Ce budget est aussi un symbole politique, celui de l’intérêt commun des pays de la zone euro. La zone euro ne peut être une communauté réduite aux acquêts autour d’une monnaie gérée par la BCE.

Concrètement, comment améliorer cette convergence ?

On peut investir dans des infrastructures ou pour faciliter des réformes qui renforcent la zone euro. Je pense par exemple au cadastre grec, qui n’existe toujours pas et qui aurait pu être financé par cette capacité budgétaire si elle avait existé.

La feuille de route ne mentionne aucun chiffre pour ce budget. Etes-vous déçu ?

Attendons de voir le chiffre, qui peut monter en puissance sur plusieurs années. Le budget doit être d’une taille suffisante pour parer à un choc économique dans un pays de la zone euro.

Quelles sont les priorités selon vous pour améliorer la zone euro ?

D’abord, il faut renforcer le marché unique, parachever l’Union bancaire et l’union des marchés des capitaux, des chantiers très techniques mais qui peuvent démultiplier la croissance en stimulant l’investissement et l’innovation.

Ensuite, les pays de la zone euro doivent pouvoir encaisser des chocs sans que cela tourne au drame, comme en Grèce, au Portugal, en Irlande, en Espagne et à Chypre. Comment y arriver ? En France, on pense toujours que la solution passe par de nouvelles taxes ou de nouvelles dépenses européennes. Celles-ci peuvent avoir leur place, nous venons d’en parler, mais la première ligne de défense consiste à ce que chaque pays rende son économie plus résistante et reconstitue les marges de manœuvre budgétaires qui ont aujourd’hui disparues. Or, force est de constater que nos règles budgétaires n’ont pas atteint leurs objectifs. Aujourd’hui, seule l’Allemagne ou presque dispose d’un matelas budgétaire. La France doit continuer de réduire son déficit sous les 3% du PIB pour retrouver des défenses immunitaires en cas de choc.

Et votre troisième condition ?

La BCE a besoin d’un cadre politique qui fonctionne bien, ce qui suppose la coordination et la confiance entre les pays participants. Il faut recréer cette confiance que dix années de crise ont abîmée. La BCE a un intérêt vital à ce que les Etats s’entendent sur leur avenir et puissent agir en commun. Ce n’est pas à nous de faire la politique de la zone euro.

Quid du ministre des Finances de la zone euro ? La feuille de route franco-allemande n’en parle pas du tout…

Ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Un ministre des finances de la zone euro suppose l’existence d’un espace politique commun, indispensable à mes yeux, mais qui reste à construire. Le point de départ, c’est l’Eurogroupe, avec sa boite à outils dont fait partie le Mécanisme européen de stabilité (MES), le fonds de sauvetage européen. L’Allemagne et la France proposent de le renforcer en lui permettant d’intervenir rapidement en cas de crise bancaire, ou d’aider un Etat avant qu’il ne soit trop tard, et c’est positif. Au passage, à la BCE, nous n’aimons pas beaucoup le terme de « Fonds monétaire européen » qui crée la confusion à la fois avec le FMI, une institution très différente, et avec la BCE.

« Rapidement », cela veut dire sans attendre systématiquement un vote au Bundestag pour sauver par exemple une banque italienne ?

En effet, il est vital que la zone euro puisse décider vite. C’est le cas à la BCE. Les 25 membres du conseil des gouverneurs peuvent avoir des désaccords, mais nous analysons, nous débattons, nous essayons de dégager un consensus, à la fin nous décidons et personne n’a de droit de veto. Par contraste, le système de gestion des crises dans la zone euro est de nature intergouvernementale. Cette méthode a un coût économique élevé car c’est une machine à procrastiner. Regardez la crise grecque, qui se termine enfin après 8 ans ! Et elle transforme toute décision en un jeu à somme nulle. L’enjeu du Conseil européen, à la fin de cette semaine, est de passer d’une Europe du marchandage à une Europe qui construit son avenir. L’Europe doit montrer qu’elle prend son destin en main.

Vous avez participé à la réunion de l’Eurogroupe, jeudi dernier, sur la Grèce. Etes-vous satisfait de l’accord ? L’allègement consenti de la dette est-il suffisant ?

C’est un tournant pour la Grèce et pour l’Europe. La Grèce peut désormais s’affranchir de la tutelle européenne. Les sacrifices de la société grecque, soutenue par la solidarité européenne, ont porté leurs fruits. À ceux qui doutent de cette solidarité, rappelons que l’Europe a versé 245 milliards d’euros à la Grèce ! Je salue en particulier la ténacité et le courage du ministre des finances grec, Euclide Tsakalotos.

La Grèce va bénéficier du coup de pouce décisif de l’allègement de la dette, promis depuis longtemps par les gouvernements européens La BCE y était clairement favorable. Les mesures décidées par l’Eurogroupe vont dans le bon sens car à moyen terme elles amélioreront la viabilité de la dette grecque, et à long terme, les ministres se sont déclarés prêts à prendre des mesures supplémentaires en cas de besoin. Mais ne soyons pas naïfs : la Grèce va passer d’un dialogue avec les institutions européennes et le FMI à un dialogue avec les marchés financiers, qui ne sera ni plus facile ni plus agréable. Pour mettre toutes les chances de son côté, le pays doit continuer à se réformer et garder une politique budgétaire prudente.

La Grèce a failli sortir de la zone euro en 2015, elle a subi une récession profonde. Si c’était à refaire, vous l’aideriez autrement ?

Si on fait un exercice d’introspection, il faut remonter bien avant la crise grecque, aux débuts de la zone euro. Entre 1999 et 2010, on a laissé s’installer une divergence des situations budgétaires et des coûts salariaux entre les pays, qui a conduit à la crise. C’est la première leçon. Face à la crise, il fallait aider la Grèce, c’était une question de solidarité. Il fallait aussi impliquer le FMI qui avait, à la différence de l’Europe, l’expérience du soutien à des pays en crise. Et il était indispensable de réduire la dépense publique, car la Grèce vivait clairement au-dessus de ses moyens. L’erreur, de mon point de vue, a été de le faire trop brutalement, ce qui a amplifie la récession. Il aurait fallu porter un jugement plus lucide sur la viabilité de la dette grecque et insister dès le début sur la concurrence, la lutte contre les rentes, au lieu de faire porter le coût de l’ajustement sur les contribuables et les salariés. J’ajoute qu’il manque à l’Europe un instrument budgétaire pour accompagner l’ajustement social des pays en crise, qui aurait évité les situations dramatiques d’écoles sans chauffage ou d’hôpitaux sans médicaments comme cela a été le cas en Grèce.

La BCE a annoncé le 14 juin, comme attendu, la fin de sa politique de rachats de titres, aussi appelée assouplissement quantitatif ou QE. En revanche, la hausse des taux va intervenir plus tard que prévu. Cela traduit-il votre inquiétude sur la solidité de la croissance?

La croissance reste solide partout dans la zone euro malgré le trou d’air du premier trimestre, voire du deuxième trimestre dans certains pays. Mais l’incertitude s’accroit. Elle provient des tensions sur le commerce mondial et du risque de volatilité sur les marchés financiers et sur certains pays émergents, et nous devions en tenir compte. D’où la décision unanime du conseil des gouverneurs : d’une part, la solidité de la croissance nous rend confiant dans le retour de l’inflation vers 2% et nous permet de prévoir l’arrêt, en décembre prochain, de notre programme d’achat net d’actifs, et d’autre part, nous reconnaissons la nécessité de garder une politique monétaire très accommodante. Nous nous attendons à ce que nos taux directeurs restent inchangés au moins jusqu’à l’été 2019 et nous continuerons à réinvestir les titres qui arrivent à échéance dans notre portefeuille, soit environ 15 milliards d’euros par mois en 2019.

C’est ce qui a surpris le plus les observateurs, et les marchés…

Oui, pour la première fois, nous communiquons sur les taux directeurs futurs avec une date, même si celle-ci reste indicative. Dans notre jargon, nous parlons d’un « pilotage renforcé des anticipations » (enhanced forward guidance en anglais). Dès lors que nous avons décidé d’arrêter les achats nets d’actifs, ce renforcement est nécessaire pour ancrer les anticipations des acteurs économiques.

Finalement, à quoi auront servi ces trois ans de QE ?

Ne l’oublions pas, ces mesures ont été décidées à l’automne 2014, face à un ralentissement de la croissance et à un risque élevé de déflation. Il fallait une réaction très forte. L’assouplissement quantitatif a considérablement amélioré les conditions de financement des ménages et des entreprises, fait repartir la croissance et éliminé le risque de déflation. Aujourd’hui, une PME espagnole emprunte au même taux qu’une PME allemande.

On a reproché au QE de favoriser les plus riches…

Je ne suis pas d’accord. Notre politique monétaire a d’abord aidé les millions de chômeurs qui ont perdu leur emploi pendant la récession. Le taux de chômage baisse continument dans la zone euro, en grande partie grâce à la politique monétaire.

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