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Entretien avec Le Journal du Dimanche

Entretien de Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, membre du directoire de la BCE, accordé à Bruna Basini, le 27 octobre et publié le 29 octobre 2017

Le serrage du robinet à liquidités décidé par la BCE est tellement accommodant que l’on peut se demander si sevrer les marchés n’est pas devenu un exercice impossible…

Nous avons décidé de diminuer nos achats d’actifs de moitié. A compter de janvier et jusqu’en septembre 2018, nous achèterons 30 milliards d’euros d’obligations par mois au lieu de 60 milliards actuellement. Et nos taux d’intérêt vont rester inchangés. La politique monétaire de la BCE restera très accommodante : en particulier, nos achats d’actifs se poursuivront tant que l’inflation ne reviendra pas clairement vers 2%. Ce recalibrage reconnaît la solidité de la reprise économique et permet de la consolider. J’ai bon espoir que ce soit la dernière prolongation.

Ne doit-on pas craindre des effets pervers ?

Nous sommes conscients que cette politique peut créer des risques sur les marchés financiers. Mais son effet premier est de stimuler la consommation et l’investissement et de favoriser la baisse du chômage. Il n’y a pas de bulle financière à l’échelle de la zone euro. Il y a des tensions sur les prix de l’immobilier dans certains pays. En France, la dette des entreprises progresse aussi très, peut-être trop vite. Mais rien à ce stade qui nécessite une action de la BCE.

Quel sera l’impact de cette politique sur les taux d’intérêt ?

La politique de la BCE permet aux ménages et aux entreprises d’emprunter à des taux historiquement bas. Les taux à court terme fixés par la BCE vont rester très bas encore longtemps, bien après septembre 2018. Les taux d’emprunt à long terme, eux, sont fixés par les marchés financiers. Ils ont vocation à remonter du fait de la reprise économique mondiale. Les entreprises et les Etats doivent s’y préparer.

Les prix augmentent peu, les salaires encore moins, où est passée l’inflation qui plafonne autour de 1,5% ?

En Europe, les salaires ont tendance à faire du sur place parce que nous avons subi coup sur coup la crise financière puis celle de la zone euro. Un jeune actif sur cinq est au chômage dans la zone euro. Il ne faut pas s’étonner que cela pèse sur les salaires. La nature des emplois créés a aussi changé avec beaucoup de postes en CDD et des temps partiels subis qui maintiennent les salariés en situation de dépendance. Avec la reprise, la qualité des emplois va s’améliorer et permettra aux salaires de progresser, mais cela prendra du temps.

Les réformes engagées par les pays membres de la zone euro vont-elles dans le bon sens ?

La BCE n’est pas là pour donner des leçons. Notre mandat est de protéger le pouvoir d’achat des Européens. La croissance est de retour dans tous les pays de la zone euro et la confiance des consommateurs européens au plus haut depuis 16 ans. La priorité, désormais, est d’aboutir à plus de convergence entre pays pour former un bloc plus résilient. Chaque pays doit continuer à se réformer : au premier chef la France, mais aussi l’Allemagne.

La transformation économique de la France promise par Emmanuel Macron va-t-elle assez loin ?

Elle permettra à la France de combler son retard. Le retour de la croissance européenne offre à la France une occasion unique de déployer un ensemble cohérent de réformes pour corriger ses faiblesses : chômage persistant, formation insuffisante, déficit des finances publiques et du commerce extérieur… Mais cela se produit à un moment où la mondialisation et les mutations technologiques créent des inquiétudes. Il faut plus de flexibilité, c’est vrai, sans oublier ceux que ce modèle laisse sur le bord de la route.

Et le niveau de la dette publique française ?

En matière budgétaire, la France n’est pas encore sortie d’affaire. Son déficit se réduit, mais pour l’essentiel grâce à un retour de la croissance. Si la conjoncture se retourne, où seront les marges de manœuvre ? Il est grand temps que la France, deuxième économie de la zone euro, s’affranchisse de la politique monétaire de la BCE.

Quelle réforme institutionnelle doit-on engager pour consolider la zone euro ?

Ce sera aux chefs d’Etat et de gouvernements de trancher. Je suis favorable depuis longtemps à la mise en place d’un ministère des finances de la zone euro, Cela permettrait, en le dotant d’instruments financiers adéquats, de faire face à la prochaine crise, sans se reposer excessivement sur la BCE, ce qui fut largement le cas ces dernières années. Pour que ce ministère ait une chance de voir le jour, il faut recréer la confiance entre pays. Et dans cette discussion, les réformes et le sérieux budgétaire de la France ont valeur de test. Evitons aussi que ce budget commun n’exonère les Etats de leurs responsabilités budgétaires.

Un Fonds monétaire européen aurait-il un sens ?

Je ne suis pas de ceux qui pensent que l’Europe doit se débarrasser du Fonds monétaire international (FMI). Le FMI a répondu présent quand l’Irlande, le Portugal, la Grèce et Chypre ont été attaqués. Dans un monde instable, il est plus que jamais nécessaire. Notre dispositif de gestion des crises, le Mécanisme européen de stabilité (MES), mériterait, lui, d’être renforcé. Il pourrait devenir un véritable Fond européen de stabilité doté de moyens renforcés et d’une capacité de conseil indépendante. Il faudrait aussi gérer les crises de manière plus transparente, en impliquant mieux le Parlement européen.

Les mouvements populistes et protectionnistes font une percée dans les urnes en Europe, comment répondre à cette frustration ?

L’Europe a été un magnifique succès quand il s’est agi de construire le marché unique et l’euro, et d’accueillir les pays sortis du communisme. Mais elle n’a pas su accompagner les travailleurs face à la mondialisation et aux révolutions technologiques. Il faut profiter du retour de la croissance pour construire un espace de règles européennes qui favorise la mobilité des salariés, défende leurs droits et leur permette d’être éduqués et formés partout dans l’UE.

Pourquoi la BCE et les banques centrales nationales ignorent-elles les crypto-monnaies, comme le bitcoin, qui pèsent de plus en plus lourd dans les échanges ?

Nous ne les ignorons pas. Aujourd’hui, les crypto-monnaies ne créent pas de risques de nature monétaire car les montants en jeu sont marginaux. Ce sont des instruments financiers spéculatifs qui créent des risques de nature financière voire criminelle. Les banques centrales suivent leur développement de très près car leur circulation peut se propager très vite, notamment dans des Etats qui se détournent des pièces et les billets.

Et si demain le futur président de la BCE était allemand, serait-ce grave ?

La nationalité du président de la BCE n’a pas d’importance. Ce qui importe c’est qu’il soit compétent.

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